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l’originalité.

classique et celles des écoles buissonnière ou foraine, même humeur indépendante, même volonté précoce. Tous deux, à peine majeurs, quittent leur famille par suite d’une folie d’amour qui pèsera sur toute leur vie. L’un, à dix-neuf ans, a épousé une fille de vingt-six, l’autre, à vingt ans, a suivi une femme mûre, dont il épousera la trop jeune sœur, à dix-huit ans, lorsqu’il en aura quarante. Pour tous deux, en des liaisons d’aventure ou des unions disproportionnées, les tortures sont d’autant plus cruelles que dans les milieux irréguliers où ils sont forcés de vivre, ils conservent une délicatesse de sentiments, une droiture de jugement, une noblesse de pensée qui survivent, non sans repentirs et remords, à leurs pires désordres.

Puis, dès qu’ils sont jetés dans la vie hasardeuse de la Bohême théâtrale, les voilà tous deux, grâce à leur activité énergique, des factotums pratiques et intellectuels, à la fois acteurs et auteurs, administrateurs et directeurs. Leur bonne éducation, leur instruction première leur permettent de frayer au dehors, dans les sociétés choisies, avec les gens de cour, lettrés, savants, et d’y conquérir leur place malgré tous les préjugés. Tous deux y acquièrent gloire et fortune, grâce au charme de leur personne, à la dignité de leur conduite, qui leur assurent, autant que l’éclat de leurs ouvrages, les protections nécessaires aux hardiesses de leur génie.

Chez tous deux, même passion pour l’art qu’ils exercent, même dévouement actif à leurs compagnons de travail, même fécondité dans la création théâtrale, même absence de vanité ou d’orgueil.