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MOLIÈRE.

raison, dans l’homme lui-même, pour sa réforme intérieure. Il ne cesse de le faire entendre, et s’il accorde aux ermites voluptueux de Thélème de se conduire à leur guise, c’est qu’ils ont été d’abord choisis parmi « gens libres, bien nés, bien instruits, connaisseurs en compagnie honnête, ayant, par nature, instinct et aiguillon qui toujours les pousse à être fort vertueux et retire du vice ». Voilà une nature singulièrement corrigée, améliorée, perfectionnée par l’éducation et l’instruction. Quant à Montaigne, ce modèle du penseur « ondoyant et divers », il n’en est point à compter les contradictions sincères et charmantes que lui inspirent les contradictions des événements, de ses lectures, de ses semblables. Il a d’aussi fréquents enthousiasmes pour la Vertu que pour la Nature. Il voit même en elle l’alliée nécessaire et directrice de la Nature : « La Vertu est chose aultre et plus noble que les inclinations à la bonté qui naissent en nous… La Vertu sonne je ne sais quoy de plus grand et de plus actif que de se laisser, par une heureuse complexion, doucement et paisiblement conduire à la suite de la raison. » Ne croit-on pas, déjà, entendre les chauds accents de l’austère fierté d’Alceste vis-à-vis de la molle et prudente politesse de Philinte ?

Oui, Rabelais et Montaigne sont bien les ancêtres de Molière, mais leur philosophie à tous n’est qu’une philosophie vivante et mobile, celle que leur donne une expérience perspicace, impartiale et virile, émue et ressentie, indulgente et compatissante de la vie et des hommes. Ils ne s’acharnent point, d’ailleurs, à chercher l’explication des contradictions