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pensée et morale.

successivement, dans sa jeunesse et son âge mùr, les deux états d’esprit que Don Juan et Sganarelle représentent avec l’exagération du relief dramatique ou comique, la confiance superstitieuse et le scepticisme matérialiste, c’est probable. S’il oppose, avec une telle impartialité apparente, les deux mentalités, c’est qu’il les connaît par expérience personnelle.

Comme on a discuté l’énigme de Don Juan, on a discuté l’énigme d’Alceste dans le Misanthrope. La deuxième est-elle plus indéchiffrable que la première ? Moins encore, ce nous semble. On a voulu trouver, les uns dans le noble et fier Alceste, dont la noblesse et la fierté ne succombent, par instants, qu’aux angoisses, colères et faiblesses d’un amour mal placé, les autres dans le prudent et souple Philinte dont l’expérience et le savoir-vivre s’accommodent patiemment à toutes les faussetés du monde et tous les déboires de la vie, une représentation typique de la pensée de Molière sur la haute société de son temps, une affirmation personnelle de sa sympathie soit pour l’adversaire, généreux et imprudent, soit pour le flatteur, réfléchi et avisé, de cette société.

Est-il possible, là encore, de ne pas voir où se dresse l’idéal de Molière ? Si ridicule que puisse paraître à des marquis éventés et des minaudières sucrées, par ses franchises brutales et ses sorties inconvenantes, le gentilhomme aux rubans verts, n’est-ce pas vers lui que vont d’un bout à l’autre, dans toutes ses révoltes et toutes ses angoisses, les applaudissements de la conscience publique ? Il fallait bien que, par quelques côtés, il prêtât aux rires, comme y prêtent, comme y prêteront toujours, dans