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MOLIÈRE.

absolus, car Molière ne cessa jamais de fréquenter les grands classiques ; mais la pensée en est juste. Désormais, Molière, sans hésitation, va suivre ses instincts naturels, et s’il étudie, traduit, imite les Latins comme les Espagnols, ce ne sera jamais qu’en remaniant et refondant, au creuset de son génie personnel, les éléments qu’il y recueille.

La nouvelle bravade vis-à-vis de la pruderie précieuse fut accueillie avec une joie bruyante. La plupart des gens de qualité, autant que les robins, marchands, artisans, applaudirent cette remontée de gaîté populaire et de libre langage, sur les tréteaux d’un Palais. Bien que le Cocu fût joué en plein été, durant les fêtes d’un mariage royal, il fallut le donner quarante fois de suite, devant une salle comble aussi bien clans les loges qu’au parterre. Parmi les applaudisseurs se trouvaient, sans doute, auprès du vieux Sorel, l’un des premiers adversaires du bel esprit et de la préciosité, quelques condisciples de Molière, Chapelle et Hesnault ; parmi les lettrés, La Fontaine, Maucroix, Furetière, ses contemporains, Boileau et Racine, ses cadets. Dès ce moment se formait l’avant-garde de ses défenseurs, de tous les dégoûtés à la fois par les excès de la préciosité et ceux du burlesque. Boileau entre en campagne avec sa première Satire. Racine soumet à Molière sa Théogène et Chariclée. Tout cela se prépare d’abord gaîment autour de la table, en de fréquentes réunions aux cabarets de « la Croix de Lorraine » et du « Mouton Blanc », d’où bientôt jaillira ce joyeux et irrévérentieux manifeste, le Chapelain décoiffé.