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LES PREMIÈRES BATAILLES.

Lorsque le Cocu se présenta à la cour, il n’effaroucha pas davantage son noble auditoire. Le roi y prit grand plaisir. À son exemple cardinaux, princes, grands seigneurs, financiers, appellent à qui mieux mieux, dans leurs salons, l’étonnant farceur et poète, le Molière-Sganarelle. Comme les Précieuses, le Cocu est de suite imité, parodié, critiqué, accusé de plagiat, subit toutes les épreuves que la jalousie et la sottise infligent d’ordinaire aux révélations trop éclatantes d’un talent nouveau.

Molière, comme Shakespeare, homme de théâtre avant tout, sachant qu’une œuvre s’améliore, se complète, s’enrichit, à chaque représentation, par le jeu des acteurs et le contact avec le public, n’avait, en province, publié aucune de ses pièces. Les Précieuses avaient été imprimées, malgré lui, sur une copie dérobée, clandestinement vendue à un libraire : « C’est une chose étrange, écrit-il, qu’on imprime les gens malgré eux… J’avais résolu de ne faire voir ces Précieuses qu’à la chandelle pour ne pas faire mentir le proverbe (Elle est belle à la chandelle mais le grand jour gâte tout)… J’ai eu beau crier : temps, ô mœurs… » Toute sa vie, en noble artiste, il gardera cette peur de l’imprimerie qui fixe trop vite la pensée en pleine activité, et lorsqu’il publiera, ce ne sera que par nécessité, pour se défendre, presque toujours avec une incroyable négligence. Pour le Cocu, il avait évité la fuite des copies, mais inutilement. Un admirateur enthousiaste, M. de la Neufvillaine, suivit les représentations jusqu’à ce qu’il sut la pièce par cœur et la put livrer au libraire Jean Ribou. Quand Molière, averti,