Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/111

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— Et les hommes de génie ! Pourquoi les faites-vous souffrir tout particulièrement, les hommes de génie ? D’où cet instinct qui confond le penseur à certaines heures ?…

— Je ne sais pas, puisque c’est un instinct.

— Eh bien, c’est pour leur faire suer des chefs-d’œuvre, que vous les faites particulièrement souffrir ! Vous savez que c’est surtout les chefs-d’œuvre hallucinés de ces malheureux qui vous redorent à chaque génération votre blason pour mieux attirer la génération suivante à vos filles.

— Eh bien ? puisque tout le monde y gagne !

— Oh, mon Dieu ! mon Dieu ! Est-ce une simple esclave séculaire et sans malice ?

Est-ce un espion transcendant ? Oh, si, tandis que l’homme enterré pourrit sans plus, la femme, elle, partait dans un monde féminin où on la récompenserait, selon la qualité et quantité de dupes qu’elle aurait, ici-bas, fait travailler pour l’Idéal !...

— Ouf ! Qu’il fait chaud !…

— Tu ne réponds pas à mes doutes ?

— Je te jure que je ne sais rien, que je t’aime sans autre souci que de te plaire pour que tu m’adoptes. Et crois-tu que je n’aurai pas mes douleurs, moi aussi, mes douleurs, mes douleurs !

— Oh ! ne pleure pas ainsi ! ne pleure pas ! Fais-moi un sourire : mieux que ça ! Voyons, chante-moi quelque chose.

— Je ne sais que des rondes de petites filles.

— Parfait ; j’écoute.