Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/24

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les documents ! Je plaidais du même génie pour le bon héros et le vilain traître ! Et le soir, quand j’avais rivé sa dernière rime à quelque tirade de résistance, je m’endormais la conscience toute rosière, souriant à des chimères domestiques, comme un bon littérateur qui, du travail de sa plume, sait soutenir une nombreuse famille ! Je m’endormais sans songer à faire mes dévotions aux deux statuettes de cire et leur retourner leur aiguille dans le cœur ! Ah, cabotin, va ! Voyez le petit monstre !

Et le jeune et insatiable prince court se jeter à genoux devant le portrait de son père dont il baise les pieds sur la toile froide.

— Pardon ! Pardon, n’est-ce pas, père ? Au fond tu me connais...

Et se relevant, et ne pouvant esquiver cet œil paternel, toujours et quand même clignant en dessous d’un air royalement faunesque :

— D’ailleurs, tout est hérédité. Soyons médical et nature, et nous finirons par y voir clair...

Il revient s’asseoir devant ses cahiers qu’il couve aussi d’un œil royalement faunesque.

— C’est égal, il y a de belles pages là-dedans, et si les temps étaient moins tristes !... Ah ! que ne suis-je un simple clerc à Paris, montagne Sainte-Geneviève où fleurit en ce moment une école de néo-Alexandrins ! Un simple petit bibliothécaire dans cette brillante cour des Valois ! Au lieu de ce château humide, de cet antre à chacals et à grossiers personnages, où l’on n’est même pas sûr de sa peau !...