Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/45

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— Tout de même ! tout de même ! Moi qui ai si bon cœur, moi dont le cœur d’or est si connu, avoir fait ça ! Oh ! fi, Hamlet, fi !... — Pauvre Ophélie, pauvre Lili ; c’était ma petite amie d’enfance. Je l’aimais ! C’est évident ! Ça tombait sous les sens. Et même, je ne demandais pas mieux que de me régénérer selon le regard de son sourire. Mais, l’Art est si grand et la vie est si courte ! Et rien n’est pratique. Et par ma mère et mon frère, et tout, j’étais damné d’avance. (Oui, il y a de ça). Et donc, alors, la peine que, en conséquence, je ne pouvais manquer de lui faire, la rendit si maigre, si maigre, que l’anneau d’alliance que je lui avais, en des temps meilleurs, passé au doigt, en tombait à chaque instant, preuve céleste que... Et puis elle avait l’air par trop périssable ! Et puis avec ces galas de la cour, où l’on se décolleté dès seize ans, ses épaules ne me furent pas une virginité à saccager ; le diable me confisque si je me rappelle quand j’ai vu ses épaules pour la première fois ! Or, on le sait, la virginité des épaules, c’est tout pour moi, je ne transige jamais là-dessus. Et puis, elle en était venue là comme les autres, malgré tout le céleste de ses regards levés. J’étais donc volé. Il ne me restait plus qu’à observer ses menus gestes de femelle ; je songeais : « À quels yeux croire désormais ! fi ! J’aurais dû lui crever les yeux, ces yeux, et m’y laver les mains. » Et enfin, d’ailleurs, cette infernale voix qui toujours arrivait bonne première à nos rendez-vous et m’étourdissait à ne m’y plus reconnaître de « l’embrassera ! Pas ! C’est absolu ! Non, des mots, des mots, des mots ! » J’en serais devenu fou. Je dois me ménager. — Allez, allez,