Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/53

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laquelle il couche ensuite les deux statuettes de cire au cœur puérilement percé d’une aiguille, et les deux statuettes bientôt coulent, s’unissent tendrement en une mare répugnante.

— Et je me fiche aussi de mon trône. C’est trop abrutissant, Fortimbras de Norwège me dirait que c’est là le meilleur parti à prendre. Soit ; tout est bien. Les morts sont morts. Je vais voir du pays. Et Paris ! Je suis sûr qu’elle joue comme un ange, comme un monstre. Nous ferons sensation. Nous aurons des noms de guerre bizarres.

Hamlet cherche un instant un nom de guerre bizarre ; mais non ! tout l’espace qu’ils vont dévorer à cheval cette nuit le prend déjà à la gorge. Comme demain, dimanche, quand les jeunes filles d’Elseneur seront ainsi que toujours à la messe et à vêpres, comme demain, à cette heure, eux seront loin, mélancoliquement loin des remparts d’Elseneur !

Hamlet sonne son écuyer pour les derniers préparatifs. En l’attendant, il s’amuse à souffleter de jets de salive ces toiles pendues aux murs de sa chambre, ces vues du Jutland qui ont pesé sur sa jeunesse stérile et mal nourrie.

Le roi Fengo et la reine Gerutha promènent un sourire fatigué d’affabilité et s’installent en leurs stalles ; la salle se rassied, dans le froufrou indécis d’un champ de blés mûrs écoutant d’où va venir le vent. Des pages se retirent vers les portes. Le rideau de la scène se sépare en deux.

Dans un coin obscur d’une tribune, Hamlet, dont nul jamais ne s’inquiète, assis sur un coussin, observe la salle et la scène par les baies de la balustrade.

Le cliché « public houleux » lui vient aux lèvres.