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Oui, le légendaire Miracle des Roses !

Du moins aux yeux de celle qui en fut l’héroïne, touchante et typique créature trop tôt enlevée à l’affection des siens et au dilettantisme de ses amis.

Sur la grand’place où les hôtels d’Angleterre et de France sont à réveiller les pénibles rivalités de Waterloo et du Grand-Prix, et qui va être la principale station de la procession de la Fête-Dieu, stationnent déjà au soleil des groupes d’étrangers flambant à mode que veux-tu (au. lieu de cultiver leur âme immortelle, etc.) et de simples gens locaux.

C’est beau, cela, au grand soleil de juin, mais, ah ! voici entrer en scène un être de crépuscule.

— Êtes-vous bien ainsi, Ruth ?

— Oui, Patrick.

Sous le péristyle. d’entrée de l’hôtel, la jeune malade s’allonge décemment en sa chaise longue, son frère Patrick l’enveloppe bien de plaids, tandis que le portier galonné installe à sa gauche, avec une giflable obséquiosité, un paravent.

Patrick s’assied au chevet de sa sœur ; il tient son mouchoir diaphane comme un parfum, sa bonbonnière de cachou à l’orange, son éventail (un éventail, ô ironie et triste caprice de la dernière heure !) son flacon de musc naturel (le dernier réconfort des mourants) ; il tient ces tristes accessoires du rôle de sa sœur, il les tient, constamment au service de ses regards, regards déjà réinitiés aux altitudes originelles d’au delà la vie (la vie, cette diète de néant), regards occupés en ce moment à méditer sur la nuance de mains aux phalanges tristement nacrées, les siennes.