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notice sur la vie et les ouvrages

Lagrange fut conservé. En qualité de Président, par une lettre longue et pleine de bonté, il m’avertit que j’allais recevoir l’avis officiel de ma destitution. Dès qu’il me sut de retour, il vint me témoigner le regret que lui causait l’éloignement d’un si grand nombre de confrères. Je ne sais, disait-il, pourquoi ils m’ont conservé. Mais, à moins d’être totale, il était difficile que la suppression s’étendît jusqu’à lui. Plus la Commission avait éprouvé de pertes, plus il lui importait de ne pas se priver de la considération attachée au nom de Lagrange ; on le savait d’ailleurs uniquement dévoué aux sciences ; il n’avait aucune place, ni dans l’ordre civil, ni dans l’administration ; la modération de son caractère l’avait empêché d’exprimer ce qu’il ne pouvait se défendre de penser en secret. Mais jamais je n’oublierai la conversation que j’eus avec lui à cette époque. C’était le lendemain de ce jour où un jugement atroce et absurde, en révoltant tout ce qui avait quelque idée de justice, avait mis les savants dans le deuil, en frappant le plus illustre physicien de l’Europe. Il ne leur a fallu qu’un moment, me disait-il, pour faire tomber cette tête, et cent années peut-être ne suffiront pas pour en reproduire une semblable. Nous gémissions ensemble des funestes suites de l’expérience dangereuse qu’avaient tentée les Français. Quelque temps auparavant nous avions eu une conversation du même genre dans le cabinet de Lavoisier, à l’occasion du procès du malheureux Bailly. Tous ces projets chimériques d’amélioration lui paraissaient des preuves fort équivoques de la grandeur de l’esprit humain : Voulez-vous le voir véritablement grand, entrez dans le cabinet de Newton décomposant la lumière, ou dévoilant le système du monde.

Déjà depuis longtemps il regrettait de n’avoir pas écouté la voix de ses amis qui, dès le commencement de nos troubles, lui avaient