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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/184

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du vieux temps

poulain tondant d’une dent avide la verte pelouse toute diamantée de rosée qui séparait la cabane de la forêt.

— Je déjeune, comme vous voyez, cher père, dit le bel animal ; faites-en bien vite autant de votre côté, et partons pour la foire ; nous n’avons pas de temps à perdre.

Quand le bonhomme eut pris son repas, il s’empressa de rejoindre son fils, qui lui dit :

— Ne vous gênez pas, cher père, sautez-moi sur le dos, et ne vous inquiétez point du reste.

Chemin faisant, Jean le Chanceux jugea à propos de donner quelques instructions à son père touchant la vente à laquelle ils allaient procéder.

— Faites-moi hardiment cent pistoles, et ne vous pressez pas de conclure le marché, lui dit-il ; sans vanité, je suis assez bien fait de ma personne de poulain pour être sûr qu’à ce prix-là, je ne manquerai pas d’amateurs.

Il disait vrai ; car lorsqu’ils se réunirent à l’une de ces mille caravanes qui, de tous les points de l’horizon, affluaient vers la foire, l’aspect du noble animal attira l’attention de tout le monde. — C’était à qui s’éloignerait pour lui livrer passage, et surtout pour admirer, d’une distance convenable, le merveilleux ensemble de ses incomparables qualités. Si bien qu’au moment où le jeune cheval aborda le champ de foire, toute cette foule qui l’acclamait déjà depuis longtemps semblait se trouver là plutôt pour lui servir d’escorte que pour vaquer à ses propres affaires.

À peine le beau poulain fut-il en place, qu’un cercle immense et pressé de connaisseurs se forma autour de lui, et que le plus riche et le plus retors des maquignons de la foire aborda le vieux sabotier et lui dit :

— Combien cette bête ?

— Cent pistoles.

— Pourquoi pas deux cents ? dit railleusement le maquignon, en visitant avec soin le cheval.