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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/185

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souvenirs

— Dame ! si vous voulez les donner, ça n’empêchera pas le marché, repartit le vieillard.

— Allons ! cinquante pistoles, proposa le maquignon, après avoir terminé son examen.

— Soixante ! cria un nouveau personnage qui s’approcha de l’animal et que l’on reconnut aussitôt pour le premier écuyer du roi, qui, tous les ans, fréquentait cette foire dans l’intérêt des écuries de son maître.

— Vous irez bien à soixante-dix ? dit le maquignon, mécontent de voir que l’on courait sur son marché.

— Et même à quatre-vingts ? reprit une voix qui sortait de la foule.

— Puisque vous êtes si peu d’accord entre vous, observa le sabotier, je retire ma mise à prix, afin de vous laisser plus de marge et de vous donner le temps de vous entendre.

— Bravo ! bravo ! exclama joyeusement l’assistance, pendant que le poulain poussait un énergique hennissement d’approbation dont son père comprit parfaitement le sens.

— Cent pistoles ! poursuivit l’écuyer.

— Cent dix ! répliqua le maquignon.

— Cent vingt ! articula vivement la voix qui partait de la foule.

— Tonnerre du ciel ! jura le maquignon, pour sûr en voilà un qui s’entend avec l’homme au poulain.

— Montrez-vous donc ! montrez-vous ! cria-t-on de tous côtés au dernier enchérisseur.

— Me voilà ! dit en faisant irruption dans le cercle un petit monsieur habillé tout de noir.

Nul ne le connaissait… hormis Jean le Chanceux.

Aux regards provocants que l’homme noir promenait sur ses concurrents et que n’enflammait pas seulement le feu de l’enchère, l’écuyer et le maquignon comprirent, ainsi que tous les spectateurs, que le cheval ne serait jamais pour eux ; aussi abandonnèrent-ils la partie.