Aller au contenu

Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

152
souvenirs

tout le corps, il est contraint de lâcher prise. Il tombe… et, pour surcroît de disgrâce, reçoit dans la mâchoire, au moment même de sa chute, une rapide série de ruades capable d’assommer un bœuf ; ce qui toutefois ne l’empêche pas de suivre de l’œil son poulain, tant le Diable a la vie dure.

À la crainte de perdre une bête de ce prix, se joint désormais dans son cœur le désir de s’en venger ; aussi n’en fait-il ni une ni deux : il se change en loup et s’élance à sa poursuite avec tant d’ardeur, qu’un instant lui suffit pour l’atteindre. Déjà il bondit et va lui sauter sur la croupe, lorsque le poulain, qui a tout vu, tout prévu, se transforme soudain en hirondelle, pointe comme une fusée à travers le feuillage, et s’élève, et plane bientôt au-dessus du dôme verdoyant de la forêt.

Alors, seulement, Satan comprit à qui il avait affaire : — Ses secrets avaient été surpris ; il devina tout, et sa rage fut au comble.

Sans perdre une seconde, de loup qu’il était, il devint épervier, perce à son tour la voûte mobile de la forêt, et gagne d’un vol puissant les hautes régions du ciel. Un coup d’œil lui a suffi : ce point noir, qui fuit et va se perdre, là-bas, au fond de l’horizon, c’est l’hirondelle. — L’épervier part comme l’éclair.

Cependant le roi du pays qui prenait, ce jour-là, le plaisir de la chasse à l’oiseau, accompagné de sa fille et de quelques personnes de sa cour, traversait, en ce moment, la vaste plaine au-dessus de laquelle semblait sur le point de se dénouer le drame de Jean le Chanceux.

— Voyez ! voyez ! dit tout à coup le roi à sa fille, en lui indiquant du doigt, presque au-dessus de leurs têtes, l’épervier qui était près d’atteindre l’hirondelle.

— Pauvre petite ! elle est perdue !… s’écria la princesse, les yeux tournés vers le zénith.