Aller au contenu

Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

157
du vieux temps

Lors de l’aventure du Carroi-Billeron, en 1616, Jean Chenu était bailli de la baronnie de Brécy. Comme tel, il instruisit le procès des sorciers qui se réunissaient sur ce carroi, et c’est lui qui nous a transmis la relation[1]. Ces sorciers étaient des paysans de la paroisse de Brécy et de celle de Sainte-Solange.

Jean Chenu, ainsi que tous les traqueurs de sorciers de ce temps-là, n’ignorait pas que le Diable « avoit coustume de marquer les siens pour les reconnoistre » ; aussi ordonna-t-il que les prévenus fussent visités avec soin par un chirurgien-barbier. Celui-ci ne manqua pas de découvrir sur la peau de quelques-uns d’entre eux des taches blanches à l’endroit desquelles il enfonça profondément des aiguilles. Aucun de ces malheureux n’ayant sourcillé pendant cette opération, le juge dut en inférer qu’ils étaient réellement coupables. — Remarquons en passant que la science de nos jours explique cette insensibilité d’une manière assez satisfaisante. « Il est un certain nombre de conditions, dit M. Jobert (de Lamballe), qui influent singulièrement sur les sensations douloureuses. Une vive exaltation intellectuelle et la concentration des facultés cérébrales déterminée par une vive contention d’esprit peuvent nous plonger dans une insensibilité presque absolue. C’est ainsi que des fanatiques, des martyrs de toutes les sectes, ont pu supporter sans se plaindre, les plus cruels tourments. »

Dans l’interrogatoire qui succéda à l’expérience des aiguilles, plusieurs des accusés avouèrent qu’ils avaient assisté aux assemblées nocturnes du Carroi-Billeron, et leurs aveux étaient empreints d’un incroyable accent de vérité. Le Diable, s’accordaient-ils à dire, venait, sous la forme d’un chien noir, les

  1. Voy. les Questions de droit, par Jean Chenu, seconde Centurie, in-4o, Paris, 1820, et une relation particulière du procès des sorciers de Brécy, dédiée à M. de Culan, baron de Brécy en Berry.