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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/214

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souvenirs du vieux temps

Rien n’était plus vrai. — La pauvre bête s’était égarée, la veille, dans les champs, et c’est pourquoi ses maîtres, après l’avoir vainement cherchée toute la soirée, avaient laissé leur porte entr’ouverte, afin qu’elle pût entrer au logis, si l’envie lui prenait d’y revenir.

— Je vous paierai votre chèvre, dit le braconnier tout penaud à ses deux voisins ; mais je vous en prie, ne parlez pas de l’aventure.

À ces contes de lièvre ou de Levrette peut se rattacher le suivant.

Un métayer berrichon, auquel la passion de la chasse faisait perdre un temps précieux, s’était mis en tête que son propriétaire, qui passait pour sorcier, avait le pouvoir de se changer en lièvre, et qu’il venait, sous cette forme, le surveiller dans sa régie. Aussi, chaque fois qu’il rencontrait l’un de ces animaux dans un pacage ou dans un champ, au lieu de lui tirer un coup de fusil, il lui tirait une révérence et lui disait avec respect : — « Oh ! je sais bien qui vous êtes, allez, nout Monsieu[1] ; mais il ne faut pourtant pas trop vous y fier, un malheur est bientôt arrivé. »

La Levrette et la Grand’Bête sont connues, en Berry, sous des noms bien divers. Dans l’ouest de la province, par exemple, on parle du Loup-Brou ; dans le nord, du côté d’Argent, il est beaucoup question de la Bieude ; aux environs de Bourges, on s’entretient du Marloup ou Mauloup[2] et de la Birette. La Birette est également connue dans notre

  1. Pour notre Monsieur. — Voy. à la Table alphabétique des matières, le mot : Monsieur.
  2. Les termes Marloup, Mauloup, doivent signifier mauvais loup, loup dangereux. — Mar et mau tiennent ici la place de mal ; c’est ainsi que Maupertuis veut dire mauvais passage, mauvais pas, trou dangereux. — « Mar, dit M. Génin est, à chaque instant, pour mal, dans les poëmes du douzième siècle : mar i fuste… mar i viendrez… » Au reste, le peuple substitue encore assez fréquemment le r au l, et vice versa. Nos paysans disent toujours coronel, colidor, malichau, etc., pour colonel, corridor, maréchal.