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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/220

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du vieux temps

Un moment après, cette huaille nocturne, composée de loups, de chiens et d’une foule d’autres quadrupèdes inconnus des naturalistes, débouchait sur le carrefour et redoublait, à la vue de la croix, ses clameurs infernales, lorsque deux coups de feu, partis presque instantanément, se firent entendre, et furent suivis d’un court silence pendant lequel un énorme loup, qui marchait en tête de la bande et semblait en être le chef, secoua vivement sa fourrure et prononça très-distinctement, ces paroles :

— C’est dommage, c’était bien visé !…

Cela dit, les cris, les rires et les huées recommencèrent de plus belle, et l’immonde cohue, reprenant sa course, disparut dans les ténèbres.

On a deviné que l’homme au fusil n’était autre que le seigneur châtelain. Comme il avait très-bien reconnu la voix de son métayer dans celle du vieux loup, il eut la curiosité de visiter, le lendemain matin, le lieu de cette scène, et retrouva les deux balles de sa carabine à l’endroit même où le loup avait secoué son harnais.

En reprenant, tout soucieux, le chemin de son manoir, le baron aperçut le vieux métayer, plus alerte et plus dispos que jamais, qui labourait sur la crête d’un coteau voisin en briolant[1] d’une voix calme et sonore.

— Voilà, lui dit-il, en l’abordant, deux balles que je viens de ramasser sur la place même où, la nuit dernière, j’ai tiré un loup pendant que j’étais à l’affût.

— C’est imaginant[2], répondit du ton le plus naturel et sans le moindre embarras, le laboureur.

Cette aventure démontra au châtelain ce qu’on lui avait

  1. Brioler, c’est chanter pour encourager les bœufs pendant leur travail. — Voy. liv. IV, chap. vii : les Brioleux.
  2. Pour : c’est étonnant. — Nos paysans emploient toujours imaginant, s’imaginer pour étonnant, s’étonner. — Voyez ces expressions dans le Glossaire du Centre, de M. le comte Jaubert.