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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/222

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du vieux temps

égard, car il savait que, pour assurer la réussite du projet qu’il méditait, il était essentiel de ne le communiquer à âme qui vive ; mais il s’occupa sans retard de prendre sa revanche.

Après avoir converti un morceau de plomb provenant de la toiture d’une église en un certain nombre de balles, il prononça trois fois sur chacune d’elles l’Oraison dominicale et la Salutation angélique, et, muni de ces projectiles, il fut s’embusquer, un peu avant minuit, dans les halliers de l’un de ses pacages.

Ainsi posté, la nuit fort sombre lui permettait à peine d’entrevoir le nombreux bétail disséminé autour de lui, et qui, du reste, semblait paître avec assez de tranquillité.

Une mortelle heure s’écoula sans que l’on entendît autre chose que le bruit sourd de l’herbe rompue par la dent des aumailles, l’aigre et monotone cri-cri du grillon affairé et, de temps à autre, la soudaine et puissante bramée[1] qu’un taureau jetait, en déchirant l’air, aux échos les plus lointains.

Tout à coup, une sorte d’inquiétude parut s’emparer du troupeau. Elle se manifesta d’abord chez les plus anciens des bœufs. On les vit relever brusquement la tête, diriger leurs mufles vers le même point de l’horizon, et recueillir par de fréquentes et avides aspirations toutes les émanations apportées par les vents.

À ce premier trouble succéda bientôt une agitation extrême. Bœufs et taureaux, bermant à l’effrei[2], se rapprochèrent les uns des autres. Les plus jeunes, les plus faibles, se massèrent pêle-mêle au milieu des plus vieux et des plus hardis, et le groupe entier finit par former une espèce de

  1. Nos paysans disent bermer, bermée, pour beugler, beuglement. C’est le vieux verbe bramer, qui ne se dit plus qu’en parlant du cri du cerf.
  2. Littéralement, bramant, beuglant à l’effroi. Les aumailles berment à l’effrei, lorsqu’elles sont en grande détresse ou en proie à une extrême épouvante.