Page:Lallier - Le spectre menaçant, roman canadien, c1932.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 86 —

courage. Aucune allusion ne fut faite à la demeure qu’ils avaient quittée ni aux difficultés qui se présentaient. C’est ainsi qu’étaient trempés les premiers colons venus de France ; c’est la même trempe qui se manifestait à ce moment presque tragique de l’existence de la famille Lescault.

Contrairement à l’habitude des colons qui, dans leur désir d’abattre la forêt, rasent tout, Pierre Lescault, qui avait conservé le goût des belles choses, laissa une rangée d’arbres en face de sa cabane de bois rond.

— Ce sera beau plus tard, avait-il dit à sa famille à leur réunion autour de la table rustique qui servit à leur premier repas.

— Tu parles comme si tu n’avais que vingt ans, dit Madame Lescault.

— Si ce n’est pas pour nous, ça sera pour les enfants, répondit tout simplement son époux.

— Dieu le veuille ! Car je sens que je n’en ai pas pour longtemps à vivre, dit-elle, laissant percer malgré elle la défaillance de son cœur. Tous les enfants entourèrent leur mère pour protester contre ses propos.

— J’ai encore besoin de toi et les enfants aussi, répondit le père. Quand tu seras reposée les choses te paraîtront peut-être moins tristes.

— Je ne dis pas cela parce que je suis découragée, répondit Madame Lescault, craignant d’avoir peiné son époux ; mais je ne suis plus à l’âge de vingt ans. Cependant il me semble que plus jeune j’aurais joui de cette expérience.