— Eh bien moi, je me sens rajeuni de trente ans. Ça ne m’en donne par conséquent que trente-quatre, et je vois l’avenir avec confiance.
Un nuage passa cependant dans ses yeux, comme il prononçait ces paroles. Ah ! ce cauchemar allait-il le poursuivre jusqu’au fond de la forêt du Lac-Saint-Jean ?
Son épouse comprit tout ce qui, à ce moment, passait dans son esprit. Ils se regardèrent longtemps les yeux dans les yeux sans proférer une parole, pendant que les enfants plus joyeux s’amusaient de leur nouvelle situation.
À quinze, à dix-huit et à vingt ans on a le courage inconscient de cet âge. Certaines situations peuvent nous apparaître sous un aspect sportique ; mais quelle somme de courage raisonné faut-il à un homme d’âge mûr, pour affronter la forêt vierge et s’y tailler un domaine ?
D’un coup d’œil, cependant, le vieux colon avait dressé ses plans futurs.
— Ici sera le site de la maison, là celui de la grange. Le poulailler s’élèvera un peu plus à l’ouest, la porcherie tout près du poulailler. La source fournira l’eau à la maison, de même qu’aux bâtiments, dit-il. C’est presque déjà mieux qu’à Verchères, où nous n’avions que de l’eau calcaire pompée par un moulin à vent.
— Ça prendra bien du temps, pour réaliser tout cela ? lui demanda Madame Lescault.
— Pas si longtemps ! Un an, peut-être deux.