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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/164

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MÉDITATIONS


Rougis plutôt, rougis d’envier au vulgaire
Le stérile repos dont son cœur est jaloux :
Les dieux ont fait pour lui tous les biens de la terre ;
Mais la lyre est à nous.

Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie.
Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels
Où le juste avenir prépare à ton génie
Des honneurs immortels.

Ainsi l’aigle superbe au séjour du tonnerre
S’élance, et, soutenant son vol audacieux,
Semble dire aux mortels : Je suis né de la terre,
Mais je vis dans les cieux.

Oui, la gloire t’attend ; mais arrête, et contemple
À quel prix on pénètre en ces parvis sacrés ;
Vois : l’Infortune, assise à la porte du temple,
En garde les degrés.

Ici c’est un vieillard que l’ingrate Ionie
A vu de mers en mers promener ses malheurs :
Aveugle, il mendiait au prix de son génie
Un pain mouillé de pleurs.

Là le Tasse, brûlé d’une flamme fatale,
Expiant dans les fers sa gloire et son amour,
Quand il va recueillir la palme triomphale,
Descend au noir séjour.

Partout des malheureux, des proscrits, des victimes,
Luttant contre le sort ou contre les bourreaux :
On dirait que le ciel aux cœurs plus magnanimes
Mesure plus de maux.