Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/519

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
517
POÉTIQUES.

Et fait rendre à l’esprit le son du cœur humain ?
Est-ce qu’un pli de rose aurait froissé ta main ?
Est-ce que ce poignard d’Alep ou de Grenade,
Poétique hochet des douleurs de parade,
Dont la lame au soleil ruisselle comme l’eau,
En effleurant ton sein aurait percé la peau,
Et, distillant ton sang de sa pointe rougie,
Mêlé la pourpre humaine au nectar de l’orgie ?
Ou n’est-ce pas plutôt que cet ennui profond
Que contient chaque coupe et qu’on savoure au fond
Des ivresses du cœur, amère et fade lie,
Fit détourner ta lèvre avec mélancolie.
Et que le vase vide, et dont tes doigts sont las,
Tombe et sonne à tes pieds, et s’y brise en éclats ?…




Ah ! c’est que vient le tour des heures sérieuses,
Où l’ironie en pleurs fuit les lèvres rieuses,
Qu’on s’aperçoit enfin qu’à se moquer du sort,
Le cœur le plus cynique est dupe de l’effort,
Que rire de soi-même en secret autorise
Dieu même à mépriser l’homme qui se méprise ;
Que ce rôle est grimace et profanation ;
Que le rire et la mort sont contradiction ;
Que du cortége humain, dans sa route éternelle,
La marche vers son but est grave et solennelle ;
Et que celui qui rit de l’enfance au tombeau,
De l’immortalité porte mal le flambeau,
Avilit sa nature et joue avec son âme,
Et de son propre souffle éteint sa sainte flamme.
Est-ce un titre à porter au seuil du jugement,
Pour tout œuvre ici-bas qu’un long ricanement ?