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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 11.djvu/98

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pour divaguer pendant les soirées de ces jours de loisir, le signal fut donné comme par un de ces accidents qui naissent d’eux-mêmes.

Cinq voitures remplies chacune de six prêtres furent dirigées du dépôt de l’hôtel de ville à la prison de l’Abbaye, par le Pont-Neuf et la rue de Buci, lieux tumultueux et néfastes. Au troisième coup de canon d’alarme, ces voitures se mirent en marche. Une faible escorte d’Avignonnais et de Marseillais, armés de sabres et de piques, les accompagnait. Les portières étaient ouvertes, pour que la foule aperçût dans l’intérieur les costumes qui lui étaient le plus odieux. Des bandes d’enfants, de femmes et d’hommes du peuple suivaient en insultant les prêtres. Les hommes de l’escorte s’associaient aux injures, aux menaces et aux outrages de la populace. « Voyez ! disaient-ils à la foule en lui montrant de la pointe de leurs sabres les prisonniers, voilà les complices des Prussiens ! voilà ceux qui vous égorgeront si vous les laissez vivre pour vous trahir ! »

L’émeute, grossissant à chaque pas à travers la rue Dauphine, fut refoulée par un autre attroupement qui obstruait le carrefour Buci, où des officiers municipaux recevaient des enrôlements en plein air. Les voitures s’arrêtent. Un homme fend l’escorte, qui s’ouvre complaisamment devant lui ; il monte sur le marchepied extérieur de la première voiture, plonge à deux reprises la lame de son sabre dans le corps d’un des prêtres, le retire fumant, et le montre rougi de sang au peuple. Le peuple jette un cri d’horreur et s’éloigne : « Cela vous fait peur, lâches ! dit l’assassin avec un sourire de dédain. Il faut vous apprivoiser avec la mort. » À ces mots, plongeant de nouveau la pointe de son sabre dans le fond de la voiture, il continue à frapper. L’un