Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/110

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Si, déliant enfin sa langue avec la mienne,
Le son de ma pensée allait toucher la sienne !
S’il répétait les mots que ma mère m’apprit !
Moi qui lui dois la vie, il me devrait l’esprit !
Dans le fond de ses yeux je saurais ce qu’il pense,
Nos âmes n’auraient plus entre elles ce silence !
Que l’heure serait courte ensemble, à l’écouter !
Oh ! je veux dès demain en secret le tenter. »
Puis, soupirant après son œuvre commencée,
Elle roula la nuit dans son front sa pensée ;
Et, quand sur les forêts le jour naissant eut lui,
Sans rien dire à sa mère elle courut vers lui.

Il était ce jour-là couché sur le rivage
Du fleuve, dont les eaux reflétaient son image,
Ravi d’étonnement, de peur et de plaisir,
Se penchant vers lui-même et voulant se saisir ;
Puis, voyant que ses mains qui troublaient l’eau limpide
N’embrassaient que le flot obscurci par la ride,
Il pleurait cette image, et pour mieux la revoir
Il laissait un moment s’aplanir le miroir.
Daïdha, souriant de l’erreur qui l’attache,
Pour surprendre Cédar d’arbre en arbre se cache ;
Sur la mousse flexible arrondissant ses pas,
En retenant son souffle elle marche tout bas,
Et, suspendant ses mains aux verts cheveux d’un saule,
Penche le cou sur l’eau par-dessus son épaule.
Le fleuve un peu voilé qui coule au-dessous d’eux,
Au lieu d’un front charmant en a réfléchi deux.