Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/200

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Ses lèvres, qu’entr’ouvrait le vent de son haleine,
Sur l’ivoire des dents se recourbaient à peine ;
D’un pli tendre et rêveur la molle inflexion
Adoucissait à l’œil la mâle expression :
On sentait que l’orgueil ni l’injure farouche
N’avaient jamais froissé les plis de cette bouche,
Mais que cet air serein, par son souffle exhalé,
Avait entr’ouvert l’âme avant qu’il eût parlé.
Sa peau se nuançait des teintes des lis pâles.
L’intelligence auguste animait ses traits mâles.
Comme en forgeant l’outil la meule et les marteaux
Pour une œuvre plus haute aiguisent les métaux,
On lisait sur ses traits sillonnés de pensées
Les traces qu’en passant elles avaient laissées :
Dans leurs inflexions le temps avait écrit
L’effort mystérieux du travail de l’esprit ;
L’âme en mille reflets y répandait son ombre.
Les époux, dont les jours étaient en petit nombre,
Qui n’avaient qu’une idée et qu’une passion,
En contemplaient, surpris, la sainte expression,
Et sur ce front pensif cette multiple empreinte
Les frappait de respect, d’étonnement, de crainte.
En voyant du vieillard le teint se nuancer,
Sa bouche réfléchir et son sourcil penser,
Sous l’éclair de ses yeux qu’un autre éclair efface,
Ils croyaient voir passer mille esprits sous sa face ;
Et craignant l’invisible, et n’osant approcher,
Ils demeuraient assis sur le banc de rocher.
Dans le pan d’un manteau d’une riche teinture,
Dont les lambeaux de pourpre entouraient sa ceinture,