Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/201

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Il couvrait les jumeaux jouant sur ses genoux ;
Il jetait sur le couple un regard triste et doux ;
Et les voyant, frappés de crainte et de silence,
L’un à l’autre appuyés se tenir à distance :
« Pauvres enfants ! dit-il, venez, voyez, touchez !
Charmante fille d’Ève, et vous, homme, approchez !
Sont-ce là vos petits ? que l’aigle les remporte ! »
La première, à ces mots, s’élançant de la porte,
Daïdha vers ses fils, les bras ouverts, courut
En appelant Cédar pour qu’il la secourût.
Mais le vieillard, tendant leurs corps à ses caresses,
Les remit dans son sein, nid brûlant de tendresses.
La mère sur leurs yeux laissa ses yeux pleurer,
Et Cédar à genoux tomba pour adorer !


Ils n’osaient élever la voix en sa présence !
« C’est un dieu, disaient-ils dans leur tendre ignorance ;
Oui, c’est un dieu plus fort et meilleur que nos dieux ;
Habitant du rocher, son corps est aussi vieux ;
Il gouverne de là les monts, les flots, la plaine ;
L’aigle est son messager, le vent est son haleine.
Que fera-t-il de nous ? que nous veut son esprit ? »
Sans entendre ces mots, le vieillard les comprit :
« Relevez-vous, dit-il, jeune homme, jeune femme ;
Mon œil lit dans vos yeux ce que pense votre âme !
Regardez ! je ne suis qu’un dieu d’os et de chair ;
Un homme comme vous, que vous pouvez toucher,
Un vermisseau vivant dans cette solitude,
Et qui marche à la mort par la décrépitude.