Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/273

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Ainsi, par la vertu d’un mystère suprême,
Un élément servait à se vaincre lui-même !
Et le pilote assis, la main sur le timon,
Voguait au souffle égal de son double poumon.

Mais les époux, assis sous le mât qui chancelle,
Et dépassant du front les bords de la nacelle,
Flottaient sans rien comprendre au double mouvement
Qui les engloutissait dans le noir firmament,
Et les sourds sifflements de la brise nocturne
Ne faisaient qu’augmenter leur effroi taciturne.
Tantôt la nue en eau semblait les enfermer,
Comme un vaisseau qui sombre aux gouffres de la mer ;
Tantôt, sortant soudain de la mer des nuages,
Les étoiles semblaient pleurer sur leurs visages ;
Puis, au branle orageux des ondulations,
De constellations en constellations,
Les étoiles, fuyant au-dessus de leurs têtes,
Couraient comme le sable au souffle des tempêtes :
On eût dit que le ciel, dans un horrible jeu,
S’écroulait sur leur voile en parcelles de feu.
Mais la barque bientôt, retrouvant l’équilibre,
Sut planer, sans rouler, dans l’azur clair et libre.

À mesure qu’au but la voile s’avançait,
Des teintes du matin le ciel se nuançait.
Déjà, comme un lait pur qu’un vase sombre épanche,
La nuit teignait ses bords d’une auréole blanche ;