Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/75

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Il avait vu l’enfant surprise en son sommeil :
Il avait écouté le sinistre conseil ;
Il avait entendu quel infâme salaire
De son rêve idéal les chasseurs comptaient faire,
Et comment des brigands se dépeçaient entre eux
Celle que redoutaient ses regards amoureux !
Il avait espéré que pendant leur dispute
Ses frères reviendraient terminer cette lutte,
Et, de leurs bras vainqueurs sauvant leur jeune sœur,
Terrasser à leurs pieds l’infâme ravisseur ;
Mais quand il avait vu les sept hommes dans l’ombre,
Sur sa trace accourus, multiplier leur nombre,
Et dans les nœuds d’acier Daïdha, ses amours,
Trébucher et rouler sans espoir de secours,
Et, sous le lourd filet sur la terre écrasée,
Se débattre en mêlant son sang à la rosée ;
Comme une mère en pleurs dont l’affreux lionceau
Vient d’emporter l’enfant dormant dans son berceau,
Plongeant ses bras fumants sous la dent qui le broie,
Membre à membre en lambeaux lui dispute sa proie,
L’ange, par son amour vaincu plus qu’à moitié,
N’avait pu retenir l’élan de sa pitié.
S’oubliant tout entier pour la vierge qu’il aime,
Il s’était à l’instant précipité lui-même ;
Le désespoir jaloux qui l’avait surmonté
Avait anéanti toute autre volonté.
Un désir tout-puissant avait changé son être ;
Il était devenu ce qu’il eût tremblé d’être,
Et, d’un terrestre corps et de sens revêtu,
D’une nature à l’autre il s’était abattu.