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LA MORT


Mais Socrate élevant la coupe dans ses mains :
« Offrons, offrons d’abord aux maîtres des humains
De l’immortalité cette heureuse prémice ! »
Il dit ; et vers la terre inclinant le calice
Comme pour épargner un nectar précieux,
En versa seulement deux gouttes pour les dieux,
Et, de sa lèvre avide approchant le breuvage,
Le vida lentement, sans changer de visage,
Comme un convive avant de sortir d’un festin
Qui dans sa coupe d’or verse un reste de vin,
Et, pour mieux savourer le dernier jus qu’il goûte,
L’incline lentement et le boit goutte à goutte.
Puis, sur son lit de mort doucement étendu,
Il reprit aussitôt son discours suspendu :





« Espérons dans les dieux, et croyons-en notre âme !
De l’amour dans nos cœurs alimentons la flamme !
L’amour est le lien des dieux et des mortels ;
La crainte ou la douleur profane leurs autels.
Quand vient l’heureux signal de notre délivrance,
Amis, prenons vers eux le vol de l’espérance !
Point de funèbre adieu ! point de cris ! point de pleurs !
On couronne ici-bas la victime de fleurs :
Que de joie et d’amour notre âme couronnée
S’avance au-devant d’eux, comme à son hyménée !
Ce sont là les festons, les parfums précieux,
Les voix, les instruments, les chants mélodieux,
Dont l’âme, convoquée à ce banquet suprême,
Avant d’aller aux dieux, doit s’enchanter soi-même !