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route nous arrivions souvent un peu tard. Le vieux curé ne nous en recevait pas plus mal. Accablé d’âge et d’infirmités, homme du monde autrefois, élégant et riche avant la révolution, tombé dans le dénûment depuis, il avait peu de goût pour la société d’enfants étourdis et bruyants qu’il s’était chargé d’enseigner. Tout ce que le bonhomme voulait de nous, c’était la légère rétribution que la générosité de nos parents ajoutait sans doute au mince casuel de son église. Du reste, il se déchargeait de notre éducation sur un jeune et brillant vicaire qui vivait avec lui dans sa cure, et qui le traitait en père plus qu’en supérieur. Ce vicaire s’appelait l’abbé Dumont. Le reste de la maison se composait d’une femme déjà âgée, mais belle et gracieuse toujours. C’était la mère du jeune abbé. Elle gouvernait doucement et souverainement le ménage des deux prêtres, aidée par une jolie nièce et par un vieux marguillier qui fendait le bois, bêchait le jardin et sonnait la cloche.

L’abbé Dumont n’avait rien du sacerdoce que le dégoût profond d’un état où on l’avait jeté malgré lui, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en France. Il n’en portait pas même l’habit. Tous ses goûts étaient ceux d’un gentilhomme ; toutes ses habitudes étaient celles d’un militaire ; toutes ses manières étaient celles d’un homme du grand monde. Beau de visage, grand de taille, fier d’attitude, grave et mélancolique de physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect, à nous avec dédain et supériorité. Toujours entouré de trois ou quatre beaux chiens de chasse, ses compagnons assidus dans la chambre comme dans les forêts, il s’occupait plus d’eux que de nous. Deux ou trois fusils luisants de propreté, décorés de plaques d’argent, brillaient au coin de la