Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cheminée ; des fourniments de poudre, des balles, du gros plomb de chasse, étaient épars ça et la sur toutes les tables. Il tenait ordinairement à la main un grand fouet de cuir à manche d’ivoire, terminé par un sifflet pour rappeler ses chiens dans les montagnes. On voyait plusieurs sabres et des couteaux de chasse suspendus aux murs, et de grandes bottes à l’écuyère, armées de longs éperons d’argent, se dressaient toutes vernies et toutes cirées dans les coins de l’appartement. On sentait à son air, au son mâle et ferme de sa voix, et à cet ameublement, que son caractère naturel se vengeait par le costume du contre-sens de sa nature et de son état.

Il était instruit, et beaucoup de livres épars sur les chaises attestaient en lui des goûts littéraires. Mais ces livres étaient, comme les meubles, très-peu canoniques. C’étaient des volumes de Raynal, de J.-J. Rousseau, de Voltaire, des romans de l’époque ou des brochures et des journaux contre-révolutionnaires. Car, bien qu’il fût très-peu ecclésiastique, l’abbé Dumont était très-royaliste. cheminée était couverte de bustes et de gravures représentant l’infortuné Louis XVI, la reine, le Dauphin, les illustres victimes de la révolution. Toute cette haine pour la révolution et toute cette philosophie dont la révolution avait été la conséquences conciliaient très-bien alors dans la plupart des hommes de cette époque. La révolution avait satisfait leurs doctrines et renversé leur situation. Leur âme était un chaos comme la société nouvelle : ils ne s’y reconnaissaient plus.

On juge aisément, sur un pareil portrait, qu’entre un vieillard infirme qui se chauffait au feu de la cuisine tout le jour et un jeune homme impatient d’action et de plaisir, qui comptait comme autant d’heures de