Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de saules et d’osiers, les grands troupeaux de vaches qui les abordent à la nage pour aller paître leurs longues herbes, en ne laissant voir que leurs museaux blancs et leurs cornes noires au-dessus de l’eau, les belles montagnes du Beaujolais et du Mâconnais, qui, aux rayons du soleil couchant, deviennent bleues comme des vagues et semblent flotter comme une mer dont le rivage est caché par leur roulis ; et à droite ces immenses prairies vertes de la Bresse, parsemées çà et là de points blancs qui sont des troupeaux, et noyées et leurs confins dans une brume qui les fait ressembler aux paysages de la Hollande ou aux horizons de la Chine, sans autres bornes que la pensée.

Ces sites, tant vus et tant revus par moi dès mes premiers regards, me pesaient sur le cœur bien plus qu’ils ne soulevaient mon poids d’ennui. J’étais né pour agir, et la destinée me ramenait toujours, malgré moi, languir et fermer mes ailes dans ce nid, dont je brûlais sans cesse de m’échapper.

Cette fois cependant la douleur m’avait tellement brisé, que j’éprouvais une certaine résignation fatale a rentrer pour n’en plus sortir dans cette maison où j’étais né et où j’espérais bientôt mourir. J’étais convaincu que mon cœur avait épuisé, dans ces treize mois d’amour, de délire et de douleur, toutes les délices et toutes les amertumes d’une longue vie, que je n’avais plus qu’à couver quelques mois mes souvenirs sous la cendre de mon cœur, et qu’un ange dont ma pensée avait suivi la trace dans une autre vie m’y rappellerait bientôt pour abréger l’absence et pour recommencer l’éternel amour. Cette certitude me consolait et me faisait prendre en patience et en indifférence l’intervalle que je croyais court entre le départ et la réunion. « A quoi bon commencer quelque