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Heureux, après dix ans, du soir qui les rassemble,
À table, sans témoins, s’entretiennent ensemble,
Tandis que le flambeau par les heures rongé
S’use pour éclairer l’entretien prolongé,
Et qu’un vin goutte à goutte épuisé dans le verre
Rougit encor le fond de la coupe sincère.

J’avais pourtant noté d’un doigt réprobateur
Tes vers trop tôt ravis à l’amour de l’auteur,
Tes vers où l’hyperbole, effort de la faiblesse,
Enflait d’un sens forcé le vide ou la mollesse ;
Tes vers, fruits imparfaits d’un arbre trop hâté,
Qui les laisse tomber au souffle de l’été,
Mais à qui sa racine étendue et profonde,
Et ce ciel amoureux qui lui prodigue l’onde,
Assurent, pour orner ses rameaux paternels,
Une séve plus forte et des jours éternels.
Ces vers, en vain frappés d’un pénible anathème,
Mon cœur plus indulgent les excuse et les aime :
Sous ces mètres rompus qui boitent en marchant,
Sous ces fausses couleurs au contraste tranchant,
Sous ce vernis trop vif qui fatigue la vue,
Sous cette vérité trop rampante ou trop nue,
On y sent ce qu’à l’art l’homme demande en vain,
Ce foyer créateur où couve un feu divin,
Feu dont les passions alimentent la flamme,
Chaleur que l’âme exhale et communique à l’âme[1].
Devant le sentiment le goût est désarmé,
Et mon cœur ne retient que ce qui l’a charmé :

  1. M. Sainte-Beuve n’avait pas encore publié les Consolations, qui ont justifié les espérances des amis de son talent si intime et si original.