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mes faibles vers dans tout le luxe d’art qui pouvait suppléer l’insuffisance du tableau. Les vers sont à moi, le drame est véritablement à eux. Bien que je ne doive pas récidiver, je l’espère, et que je ne sois qu’un auteur dramatique d’une soirée, il convient que je fasse comme mes confrères en poésie, et que je dise après le rideau baissé ce que j’ai éprouvé aux premières représentations, caché au fond d’une seconde loge, en voyant marcher, parler et agir sur la scène, ces vers, personnifiés dans des hommes, dans des femmes, dans des enfants, dans des jeunes filles, qui semblaient m’être renvoyés des régions de l’imagination comme les fantômes incarnés de mes conceptions. Le public leur a payé en applaudissements ce que je leur dois en reconnaissance. Frédérick Lemaître a été le Talma des noirs, un Talma des tropiques, aussi grand dessinateur, d’un caractère plus sauvage, plus ému, plus explosible que le Talma de Tacite, que nous avons vu chez nous se poser, marcher, penser et parler comme la statue vivante de l’histoire classique. C’est bien de Frédérick Lemaître que le public a pu dire ce que les Français disaient de Toussaint :

Cet homme est une nation.

Une jeune fille, sœur de mademoiselle Rachel, dont le nom impose la responsabilité du don théâtral, a bien porté, quoique si enfant, ce nom de famille si écrasant pour la scène. Mademoiselle Lia Félix a eu le souffle du tropique dans la poitrine, le cri de la liberté dans la voix, la fibre de l’amour filial dans le cœur ; il ne lui manque que des années pour avoir ce que sa sœur a en génie. Jemma a déguisé sous son talent la nullité d’un rôle ingrat, et