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RAPHAËL

tenir en liberté avec celle qui était déjà toute ma pensée et toute ma vie. Je l’avais vue ; je l’emportais partout avec moi : de près, de loin, absente, présente, je la possédais ; tout le reste m’était indifférent. L’amour complet est patient, parce qu’il est absolu et qu’il sent qu’il durera autant que la vie. Je défiais l’univers de n’arracher cette image sans m’arracher mon cœur. Je l’avais vue, mes désirs étaient assouvis ; peu m’importait presque qu’elle m’aimât. Sa splendeur m’avait touché, je restais enveloppé de ses rayons ; c’était assez pour moi. Je sentais qu’il n’y aurait plus ni nuit ni froideur dans mon cœur, dussé-je vivre un millier d’années, car elle y luirait toujours comme elle y luisait dans ce moment.

XXVII

Cette conviction donnait à mon amour la sécurité de l’immuable, le calme de la certitude, la plénitude de l’infini, l’ivresse d’une joie sans terme. Je laissais passer les heures sans les compter. N’avais-je pas devant moi les heures sans fin ? et chacune de ces heures ne me rendrai telle pas éternellement cette image toujours présente ? J’allais, je venais, je m’asseyais, je me relevais, je marchais d’un pas tantôt lent, tantôt rapide. Je ne sentais plus la terre sous mes pieds ; j’ouvrais les bras à l’air, au lac, à la lumière ; je remerciais toute la nature ; je plongeais dans le firmament des regards perçants et prolongés ; j’aurais voulu y découvrir Dieu lui-même pour lui offrir l’hymne de ma reconnaissance et l’extase de ma félicité. Je n’étais plus un homme, j’étais un hymne vivant. Mon corps n’éprouvait plus sa matérialité. Je ne croyais plus au temps, ni à l’espace, ni à la mort : tant la vie de l’amour qui venait de jaillir en moi me donnait le sentiment de l’immortalité !