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RAPHAËL

ordres, les hontes de moi-même dans lesquelles ces liaisons m’avaient entraîné ; mon ardeur pour l’état militaire trompée par la paix, au moment où j’entrais dans l’armée ; ma sortie du régiment, mes courses sans but, mon retour sans espoir dans la maison paternelle ; les mélancolies dont j’étais dévoré ; le désir de mourir, le désenchantement de tout ; enfin la langueur physique, résultat de la lassitude morale, et qui, sous les cheveux et sous les traits de vingt-quatre ans, cachait la précoce sénilité de l’âme, et le détachement de la terre d’un homme mûr et fatigué de jours.

XXIX

En insistant sur ces sécheresses, sur ces dégoûts et sur ces découragements de ma vie, je jouissais intérieurement, car je ne les sentais déjà plus. Un seul regard m’avait renouvelé tout entier. Je parlais de moi comme d’un être mort ; un homme nouveau était né en moi. Quand j’eus fini, je levai les yeux sur elle comme sur mon juge. Elle était toute tremblante et toute pâle d’émotion : « Dieu ! s’écria-t-elle, que vous m’avez fait trembler !

» — Et pourquoi ? lui dis-je.

» — C’est, dit-elle, que si vous n’aviez pas été malheureux et isolé ici-bas, il y aurait eu entre nous deux une harmonie de moins. Vous n’auriez pas senti le besoin de plaindre quelqu’un, et j’aurais moi-même quitté la vie sans avoir entrevu l’ombre de mon âme ailleurs que dans la glace où ma froide image m’était retracée !… Seulement, poursuivit-elle, votre vie commence, et la mienne… »

Je l’empêchai d’achever : « Non, non ! m’écriai-je sour-