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RAPHAËL

croirons-nous pas plus à l’immatérialité et à l’éternité de notre attachement quand il restera élevé à la hauteur d’une pensée pure, dans les régions inaccessibles au changement et à la mort, que s’il descendait à l’abjecte nature des sensations vulgaires en se dégradant et en se profanant ? D’ailleurs… » ajouta-t-elle après un court silence. Mais elle rougit, n’acheva pas et se tut.

Nous demeurâmes longtemps sans voix. À la fin, avec un soupir arraché du fond de ma poitrine : « Je vous ai comprise, lui dis-je, et le serment de l’éternelle innocence de mon amour a été juré dans mon cœur avant que vous eussiez achevé de me le demander. »

XXXVI

Cette résignation sembla la combler de bonheur et redoubler le charmant abandon de sa tendresse. La nuit était tombée sur le lac, les étoiles du firmament s’y regardaient, les grands silences de la nature endormaient la terre. Les vents, les arbres, les flots, nous laissaient entendre les fugitives impressions du sentiment ou de la pensée qui parlent à voix basse dans les cœurs heureux. Les bateliers chantaient par moments ces airs traînants et monotones qui ressemblent aux ondulations notées des vagues sur les grèves. Cela me fit penser à sa voix, qui résonnait sans cesse dans mon oreille. « Ah ! si vous marquiez cette nuit délicieuse par quelques accents jetés à ces vagues et à ces ombres pour qu’elles restassent à jamais pleines de vous ? » lui dis-je.

Je fis signe aux bateliers de se taire et d’assoupir le bruit de leurs rames, dont les gouttes retombaient seulement comme un accompagnement musical en petites notes ar-