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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/256

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RAPHAËL

l’œuvre de la raison humaine de l’élargir, de l’éclairer, de l’écarter toujours davantage, sans le dissiper complètement jamais. La prière ? c’est le besoin du cœur de répandre sans cesse l’imploration utile ou inutile, entendue ou non, comme les parfums sur les pas de Dieu. Que ce parfum tombe sur les pieds de Dieu, ou qu’il tombe à terre, n’importe ; il tombe toujours en tribut de faiblesse, d’humiliation et d’adoration !… Mais qui sait s’il est perdu, ajoutai-je, avec le ton d’une espérance qui, dans la voix de celui qui parle, triomphe du doute même ; qui sait si la prière, cette communication avec la toute-puissance invisible, n’est pas, en effet, la plus grande des forces surnaturelles ou naturelles de l’homme ? qui sait si la volonté suprême n’a pas voulu, de toute éternité, l’inspirer et l’exaucer dans celui qui prie, et faire participer ainsi l’homme lui-même par l’invocation au mécanisme de sa propre destinée ? qui sait enfin si Dieu, dans sa sollicitude éternelle pour les êtres émanés de lui, n’a pas voulu leur laisser ce rapport avec lui-même comme la chaîne invisible qui suspend la pensée des mondes à la sienne ? qui sait si, dans sa solitude majestueuse, peuplée de lui seul, il n’a pas voulu que ce vivant murmure, que cette conversation inextinguible avec sa nature s’élevât et redescendît sans cesse, sur tous les points de l’infini, de lui et tous les êtres qu’il vivifie, qu’il embrasse et qu’il aime, et de tous ces êtres jusqu’à lui ? Dans tous les cas, la prière est le plus sublime des privilèges de l’homme, puisque c’est celui qui permet de parler à Dieu ; et Dieu fût-il sourd, nous le prierions encore ; car si sa grandeur était de ne pas nous entendre, notre grandeur à nous serait de le prier ! »

Je vis que mes raisonnements l’agitaient sans la convaincre ; que son âme, un peu desséchée par son éducation, n’avait pas encore ouvert ses sources du côté de Dieu. Mais l’amour ne devait pas tarder à attendrir sa