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RAPHAËL

ses traits. Son visage, un peu meurtri au commencement, autour des yeux, par ces taches ternes ou bleues semblables aux empreintes des doigts de la mort, reprenait la plénitude des joues, la chaleur de sang, la fraîcheur de teint, le duvet cotonneux d’une jeune fille qui a marché longtemps sur la montagne où sa joue a été pincée par les premières brises froides du glacier ; ses paupières avaient perdu leur poids, ses yeux leur ombre, ses lèvres leurs plis. Ses regards nageaient dans un perpétuel brouillard lumineux de l’âme, vapeur d’un cœur brûlant condensée sur le globe des yeux en larmes qui montent toujours, mais que ce feu même dessèche et qui ne coulent jamais. Ses attitudes reprenaient la force, ses mouvements la souplesse, ses pas la légèreté et la vivacité de ceux d’un enfant. Chaque fois qu’elle rentrait de ses courses avec moi dans la cour de la maison, le vieux médecin et sa famille se récriaient sur le prodigieux changement opéré par vingt-quatre heures dans sa santé. C’était un éblouissement de jeunesse et de vie qu’elle répandait dans les yeux.

Le bonheur en effet semblait avoir des rayons et semer autour d’elle une atmosphère dans laquelle elle était enveloppée et qui enveloppait ceux qui la regardaient. Ce rayonnement de la beauté, cette atmosphère de l’amour, ne sont point tout à fait, comme on le croit, des images de poëte. Le poëte ne fait que voir mieux ce qui échappe aux regards distraits ou aveugles des autres hommes. On a dit souvent d’une belle jeune fille qu’elle éclairait l’obscurité dans la nuit ; on pouvait dire de Julie qu’elle échauffait l’air autour d’elle. Je marchais, je vivais enveloppé de cette émanation de sa beauté, les autres la sentaient en passant.