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RAPHAËL

bonnes femmes qui n’avaient jamais fini de compter leur monnaie dans sa main ! Avant que le facteur sonnât à la porte de mon père, j’avais franchi l’escalier, traversé le vestibule ; j’étais tout palpitant sur le seuil. Pendant que ce vieillard maniait son paquet de lettres, je cherchais à découvrir l’enveloppe de fin papier de Hollande et l’adresse de belle écriture anglaise qui me révélaient mon trésor entre tous ces papiers grossiers et ces lourdes suscriptions de lettres de commerce ou de banalités. Je la saisissais tout tremblant. Mes yeux se voilaient d’un nuage, mon cœur battait. Mes jambes fléchissaient. Je cachais la lettre sous mon habit, de peur de rencontrer quelqu’un sur l’escalier, et qu’une correspondance si fréquente ne parût suspecte à ma mère. Je m’enfuyais dans ma chambre. Je m’enfermais au verrou pour dévorer à loisir les pages sans être interrompu. Que de larmes, que de baisers n’imprimais-je pas sur le papier ! hélas ! et quand, après des années, j’ai rouvert ce volume de lettres, combien de mots manquaient au sens des phrases, que mes pleurs ou mes transports avaient lavés ou déchirés !

LXXIII

Après le déjeuner, je remontais dans ma chambre haute pour relire encore ma lettre et pour y répondre. C’étaient là les plus délicieuses et les plus fiévreuses heures de mes journées. Je prenais quatre feuilles du plus grand et du plus mince papier de Hollande. Julie me l’avait envoyé de Paris pour cet usage ; chaque page, commencée très-haut, finissant très-bas, écrite sur les marges, surécrite encore en travers des lignes, contenait des milliers de mots. Je les remplissais tous les matins, ces feuilles ; je les trouvais