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RAPHAËL

brûle les pieds. Vis quelque temps à Paris. Frappe avec réserve et avec dignité aux portes des anciens amis de la famille qui sont aujourd’hui en crédit. Fais connaître le peu de talents que la nature et le travail t’ont donnés. Il est impossible que les chefs du gouvernement nouveau ne cherchent pas à se rattacher de jeunes hommes capables, comme tu le deviendrais, de servir, de soutenir et de décorer le règne des princes que Dieu nous a rendus. Ton pauvre père a bien de la peine à élever ses six enfants et à ne pas tomber au-dessous de son rang dans la détresse de notre vie rustique. Tes autres parents sont bons et tendres, mais ils ne veulent pas comprendre qu’il faut de l’air, de l’espace et de l’action à la dévorante activité d’une âme de vingt ans ! Voici mon dernier bijou. J’avais promis à ma mère de ne pas m’en séparer sans une nécessité suprême. Prends-le, vends-le, qu’il te serve à vivre quelques semaines de plus à Paris. C’est le dernier gage de tendresse que je jette pour toi à la loterie de la Providence. Il te portera bonheur, car j’y jette avec cet anneau toutes mes prières, toute ma tendresse et toutes mes sollicitudes pour toi. »

Je pris l’anneau en baisant la main de ma mère et en laissant tomber une larme sur le diamant. Hélas ! il me servit non à chercher ou à attendre la faveur des hommes puissants et des princes, ceux-la se détournaient de mon obscurité ; mais il me servit à vivre trois mois de la vie du cœur dont un seul jour vaut des siècles d’ambition satisfaite. Ce diamant sacré fut pour moi la perle de Cléopâtre fondue dans la coupe de ma vie et qui m’abreuva quelque temps d’amour et de félicité.