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JEANNE D’ARC.

vertu. Ainsi, le roi cherchant en vain ses sujets dans son peuple, le peuple cherchant en vain son roi dans la monarchie, le Français cherchant en vain une patrie dans la France : tel était l’état de la nation quand la Providence lui révéla son salut dans une enfant.

Il y avait en ce temps=la à Domrémy, village de la haute Lorraine champenoise, sur le penchant boisé des Vosges, non loin de la petite ville de Vaucouleurs, une famille dont le nom était d’Arc. Le père de famille était un simple laboureur, mais un laboureur qui cultivait son propre héritage, et dont le toit, possédé et bâti par ses pères, devait appartenir à ses fils. Si l’on en juge par les mœurs et par les habitudes domestiques de la famille, il y avait dans cette maison de paysans le loisir et la piété que donne l’aisance, et cette noblesse de cœur et de front qu’on retrouve dans ceux qui cultivent la terre paternelle plus que dans ceux qui travaillent dans l’atelier d’autrui, parce que la possession d’un coin de terre, quelque petit qu’il soit, conserve au paysan l’indépendance de l’âme, en lui faisant sentir qu’il tient son pain de Dieu. Le père s’appelait Jacques d’Arc ; la mère, Isabelle Romée, surnom qu’on donnait dans ces contrées aux pèlerines qui étaient allées a Rome visiter les pieux tombeaux des martyrs.

Ils avaient trois enfants : deux fils, l’un nommé Jacques comme son père, l’autre Pierre d’Arc, et une seule fille venue au monde après ses frères, et qui portait le nom de Jeanne, bien que sa marraine lui eût donne aussi le nom de Sibylle.

Un soc de charrue, armoirie du laboureur, était grossièrement sculpté sur le linteau de pierre au-dessus de la porte de la chaumière.

Le père et les deux fils cultivaient les champs. Ils soignaient les attelages de leurs charrues, dans cette contrée où on laboure avec des chevaux aussi propres à la guerre