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JEANNE D’ARC.

membres. Dans ces temps où les femmes ne faisaient route qu’à cheval, elle allait, enfant, avec ses frères, conduire les poulains de son père dans le préau du château des Isles, où on les enfermait, de peur des gens de guerre. Il est vraisemblable que c’est ainsi qu’elle se familiarisa avec les destriers, que nulle main d’homme ne mania plus hardiment depuis. Elle raconte aussi qu’elle allait quelquefois avec les jeunes filles du village à la lisière des bois qui bordaient les champs, sous un grand chêne qu’on appelait dans le pays l’arbre des Fées ; que sous ce chêne il y avait une fontaine ; que son eau avait la renommée de guérir les fièvres et maladies ; qu’elle en avait puisé comme les autres à cette intention ; que les malades, après leur guérison, avaient l’habitude d’aller s’asseoir et se délasser sous son ombre ; que les fleurs de mai croissaient autour de la source, et qu’en temps d’été elle les cueillait avec ses compagnes pour en tresser des chapeaux à la statue de la Notre-Dame de Domrémy. La fille de sa marraine lui disait que les fées ou les dames apparaissaient par aventure en ce lieu, et qu’elle-même les avait vues. Quant à Jeanne, elle ne les avait jamais vues. Mais il est bien vrai que les jeunes filles suspendaient des chapelets de fleurs aux basses branches de l’arbre ; qu’elle avait fait comme les autres ; que quelquefois ses compagnes emportaient les bouquets en s’en allant, que d’autres fois elles les laissaient sur l’arbre ; que, depuis le moment où elle avait conçu l’inspiration de délivrer la France, elle n’allait presque plus jamais s’ébattre ainsi sous le chêne des Fées ; qu’elle peut y avoir dansé avant son âge de raison avec les enfants, et surtout chanté ; mais qu’elle ne croit pas y avoir dansé une seule fois depuis ; qu’il y avait aussi, en face de la porte de son père, un autre bois voisin de sa maison, mais qu’il n’y avait pas là d’apparitions ; qu’à l’époque où sa mission lui fut révélée, son père lui avait bien dit, en la