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JEANNE D’ARC.

Le curé, pour être prêt à toute occurrence, avait revêtu ses habits sacerdotaux, armure contre l’esprit tentateur. Il exorcisa Jeanne, au cas où elle serait obsédée d’un démon, et la somma de se retirer si elle était en commerce avec Satan. Mais les démons de Jeanne n’étaient que sa piété et son génie. Elle subit l’épreuve sans donner aucun scandale au prêtre et à l’homme de guerre ; ils se retirèrent indécis et édifiés.

Le bruit de cette visite du gouverneur et du prêtre chez la femme du charron étonna et édifia la petite ville. Le peuple de toute condition et les femmes surtout s’y portèrent. La mission de Jeanne devint la foi de quelques-uns, l’entretien de tous. Le bruit avait trop éclaté pour qu’il fût loisible maintenant à Baudricourt de l’étouffer. L’opinion l’accusait déjà d’indifférence ou de mollesse. « Négliger un tel secours du ciel, n’était-ce pas trahir le Dauphin et la France ? » Un gentilhomme des environs, étant venu voir Jeanne comme les autres, lui dit, en matière d’accusation contre Baudricourt : « Eh bien, ma mie, il faudra donc que le roi soit chassé, et que nous devenions Anglais ? »

Jeanne mêla ses plaintes à celles du gentilhomme et du peuple, mais elle parut moins se lamenter sur elle-même que sur la France ; et, se rassurant ensuite sur la promesse qu’elle avait entendue d’en haut : « Cependant, dit-elle, il faudra bien qu’avant la mi-carême on me conduise au Dauphin, dussé-je, pour y aller, user mes jambes jusqu’aux genoux. Car personne au monde, ni rois, ni ducs, ni filles du roi d’Écosse, ne peuvent reprendre le royaume de France ; et il n’y a pour lui d’autres secours que moi-même, quoique j’aimasse mieux, ajouta-t-elle avec tristesse, rester à filer près de ma pauvre mère !… Car je sais bien que batailler n’est pas mon ouvrage ; mais il faut que j’aille et que je fasse ce qui m’est commandé, car mon Seigneur le veut… »