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JEANNE D’ARC.

des Bourguignons. Le duc de Bourgogne, amolli par les prospérités et par les femmes, se contentait de venir de temps en temps de Flandre à Paris, pour étaler, comme Antoine après le meurtre de César, le sang de son père assassiné sous les yeux des Parisiens, et pour recueillir les vaines popularités d’une multitude plus tumultueuse que dévouée.

Le duc de Bedford, régent de France pour le roi d’Angleterre Henry VI, et le cardinal de Winchester, souverain de l’Angleterre sous ce roi enfant, se haïssaient et se desservaient mutuellement, en ayant l’apparence de s’entendre et de se soutenir. Le cardinal, alarmé cependant des revers trop honteux de Bedford, amenait à Paris une nouvelle armée. Le duc de Bedford tremblait dans Paris. Toutes les villes et toutes les provinces environnantes tombaient devant les forces croissantes du roi de France ; et l’étendard de Jeanne, déployé sous les murs des places assiégées, suffisait pour les ouvrir à Charles. La superstition du peuple croyait voir voltiger autour de cet étendard des étincelles de flamme, rayonnement des puissances célestes qui entouraient l’envoyée de Dieu.

Son humilité ne s’exaltait point au sein de ces triomphes, ni sa chasteté ne se ternissait dans ces camps. Chaque soir, disent les chroniques, « elle allait prendre son logis dans la maison de la femme la plus honnêtement famée du lieu, et souvent même couchait dans son lit. Elle passait la nuit ses armes sous la main, et à demi vêtue de ses habillements d’homme de guerre, afin de mieux protéger sa pudeur. »

Elle ne s’enorgueillissait aucunement des honneurs qu’on lui rendait. « Ce que je fais, disait-elle sans cesse au peuple superstitieux, n’est pas miracle de moi, mais ministère qui m’est commandé : c’est pourquoi je suis soutenue. Ne baisez point mes habits ou mes armes comme