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JEANNE D’ARC.

restée impassible ; elle fut mortelle, elle fut femme, elle fut enfant devant le feu. La nature, la volonté et la mort, qui avaient lutté dans son Seigneur lui-même au jardin des Olives, luttèrent dans la jeune fille au pied du bûcher. La multitude assista au déchirement d’un corps et d’une âme. Ce cirque stupide et féroce eut le spectacle complet d’une agonie.

A la fin, Jeanne sentit le besoin de se raffermir par la vue du symbole du suprême sacrifice accepté par le Fils de l’homme pour l’homme. Elle implora la grâce de mourir du moins en embrassant une croix, symbole de dernière communion avec l’Église qui la répudiait. On fut long temps sourd à cette prière. Un Anglais cependant lui tendit deux branches de bois avec leur écorce, liées transversalement par un nœud de corde, et formant l’image grossière de la croix. Elle la prit, la baisa, et, ouvrant sa chemise, elle la serra contre sa poitrine, comme pour faire pénétrer de plus près dans son cœur la vertu de ce signe.

Le moine Isambart, attentif à ses moindres gestes, et qui vit son désir si mal satisfait, osa prendre sur lui Un acte de généreuse audace, au risque de paraître impie dans sa compassion. Il courut avec l’huissier-massier a une église voisine de la place du Marché, et, prenant la croix de la paroisse à côté de l’autel, il la remit aux mains de Jeanne ; véritable Simon de ce supplice.

Les bourreaux firent marcher la jeune fille vers le bûcher. Son confesseur y monta avec elle, en murmurant à son oreille de pieux encouragements. Son sang-froid ne l’avait pas abandonnée dans son désespoir. Le bourreau ayant mis le feu aux branches inférieures du bûcher, où elle était liée a un poteaux « Jésus ! s’écria-t-elle, retirez-vous, mon père ! Et quand la flamme m’enveloppera, élevez la croix pour que je la voie en mourant, et dites-moi de saintes paroles jusqu’à la fin. »