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CHRISTOPHE COLOMB.

Tous ces indices flottant de temps en temps à la suite des tempêtes sur l’Océan, et je ne sais quel instinct vague qui précède toujours les réalités comme l’ombre précède le corps quand on a le soleil derrière soi, annonçaient au vulgaire des merveilles, attestaient à Colomb des terres existantes au delà des plages écrites par la main des géographes sur les mappemondes. Seulement il était convaincu que ces terres n’étaient qu’un prolongement de l’Asie, remplissant plus d’un tiers de la circonférence du globe. Cette circonférence, ignorée alors des philosophes et des géomètres, laissait aux conjectures l’étendue de cet Océan qu’il fallait traverser pour atteindre à cette Asie imaginaire. Les uns la croyaient incommensurable ; les autres se la figuraient comme une espèce d’éther profond et sans bornes, dans lequel les navigateurs s’égarent, comme aujourd’hui les aéronautes dans les déserts du firmament. Le plus grand nombre, ignorant les lois de la pesanteur et de l’attraction qui rappelle les corps au centre, et admettant néanmoins déjà la rotondité du globe, croyaient que des navires ou des hommes portés par le hasard aux antipodes s’en détacheraient pour tomber dans les abîmes de l’espace. Les lois qui gouvernent les niveaux et les mouvements de l’Océan leur étaient également inconnues. Ils se représentaient la mer, au delà d’un certain horizon, borné par les îles déjà découvertes, comme une sorte de chaos liquide, dont les vagues démesurées s’élevaient en montagnes inaccessibles, se creusaient en gouffres sans fond, se précipitaient du ciel en cataractes infranchissables qui entraîneraient et engloutiraient les voiles assez téméraires pour en approcher. Les plus instruits ; en admettant les lois de la pesanteur et un certain niveau dans les espaces liquides, pensaient que la forme arrondie du globe donnait à l’Océan une pente vers les antipodes, qui emporterait les vaisseaux vers des rivages sans nom, mais qui ne leur