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CHRISTOPHE COLOMB.

succès qui est l’illusion, mais aussi l’étoile du génie. Cette illusion ne devait pas tarder à se dissiper et cette étoile à se voiler. Le moment où l’aventurier génois venait offrir un monde à la couronne d’Espagne semblait mal choisi : Ferdinand et Isabelle, loin de songer à conquérir des possessions problématiques au delà des mers inconnues, étaient occupés à reconquérir leur propre royaume sur les Maures d’Espagne. Ces musulmans conquérants de la Péninsule, après une longue et prospère possession, se voyaient enlever une à une les villes et les provinces dont ils avaient fait une patrie. Vaincus partout, malgré leurs exploits, ils n’occupaient plus que les montagnes et les vallées qui entouraient Grenade, capitale et merveille de leur empire. Ferdinand et Isabelle employaient toute leur puissance, tous leurs efforts et toutes les ressources de leurs deux royaumes unis, à arracher aux Maures cette citadelle des Espagnes. Unis par un mariage politique que l’amour avait cimenté, et qu’une gloire commune illustrait, l’un avait apporté en dot le royaume d’Aragon, l’autre le royaume de Castille à cette communauté de couronnes. Mais, bien que le roi et la reine eussent confondu ainsi leurs provinces séparées en une seule patrie, ils conservaient néanmoins une domination distincte et indépendante sur le royaume héréditaire. Ils avaient leur conseil et leurs ministres à part pour les intérêts réservés de leurs anciens sujets personnels. Ces conseils ne se confondaient en un seul gouvernement que dans les intérêts patriotiques communs aux deux empires et aux deux époux.

La nature semblait avoir doué ces deux souverains de formes, de qualités et de perfections du corps et de l’âme diverses, mais presque égales, comme pour compléter l’un par l’autre le règne de prestige, de conquête, de civilisation et de prospérité qu’elle leur destinait. Ferdinand, un peu plus âgé qu’Isabelle, était un guerrier accompli et un