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CHRISTOPHE COLOMB.

On s’étonna d’abord de ces exigences, on finit par s’indigner ; on lui offrit des conditions moins onéreuses à la couronne. Du fond de son indigence et de son néant il refusa tout. Lassé, mais non vaincu par dix-huit ans d’épreuves, depuis le jour où il portait en lui sa pensée et où il l’offrait en vain aux puissances de la terre, il aurait rougi de rien rabattre du prix du don que Dieu lui avait fait. Il se retira respectueusement des conférences avec les commissaires de Ferdinand, et, remontant seul et nu sur sa mule, présent de la reine, il reprit le chemin de Cordoue, pour se rendre de là en France.

Isabelle, en apprenant le départ de son protégé, eut comme le pressentiment des grandes choses qui s’éloignaient pour jamais d’elle avec cet homme prédestiné. Elle s’indigna contre ses commissaires qui marchandaient avec Dieu, s’écria-t-elle, le prix d’un empire, et surtout le prix de millions d’âmes laissées par leur faute à l’idolâtrie. La marquise de Maya et le contrôleur des finances d’Isabelle, Quintanilla, partagèrent et animèrent encore ses remords. Le roi, plus froid et plus calculateur, hésitait ; la dépense de l’entreprise dans un moment de pénurie du trésor le retenait. « Eh bien, s’écria dans un généreux enthousiasme Isabelle, je me charge seule de l’entreprise pour ma couronne personnelle de Castille ! Je mettrai mes bijoux et mes diamants en gage pour subvenir aux frais de l’armement ! »

Cet élan du cœur d’une femme triompha de l’économie du roi, et, par un calcul plus sublime, acquit d’incalculables trésors de richesses et de provinces à ces deux monarchies. Le désintéressement inspiré par l’enthousiasme est la véritable économie des grandes âmes et la véritable sagesse des grands politiques.

On courut sur les pas du fugitif : le messager que la reine lui envoya pour le rappeler le rencontra à quelques