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CHRISTOPHE COLOMB.

suffiraient-elles aux longs mois de leur navigation en arrière ? Qui les sauverait de l’horrible perspective de mourir de soif et de faim dans leur longue lutte avec ces vents qui les repoussaient de leurs ports ? Beaucoup commençaient à calculer le nombre de jours, de rations inégales à ces jours, à murmurer contre une obstination toujours trompée dans leur chef, et à se reprocher à voix basse une persévérance de dévouement qui sacrifiait les vies de cent vingt hommes à la démence d’un seul !

Mais, chaque fois que le murmure allait grossir jusqu’à la sédition, la Providence semblait leur envoyer des présages plus convaincants et plus inattendus pour les changer en espérances. Ainsi le 20 septembre, ces vents favorables, mais alarmants par leur fixité, varièrent et passèrent au sud—ouest. Les matelots saluèrent ce changement, bien que contraire à leur route, comme un signe de vie et de mobilité dans les éléments, qui leur faisait reconnaître une palpitation de l’air sur leurs voiles. Le soir, de petits oiseaux des races les plus frêles, faisant leur nid dans les arbustes et dans les vergers domestiques, voltigèrent en gazouillant autour des mâts. Leurs ailes fragiles et leurs gazouillements joyeux n’indiquaient en eux aucun symptôme de lassitude ou d’effroi comme dans des volées d’oiseaux qui auraient été emportés malgré eux bien loin sur la mer par un coup de vent. Leurs chants, semblables à ceux que les matelots entendaient autour de leurs charmilles, dans les myrtes et dans les bois d’orangers de l’Andalousie, leur rappelaient la patrie et les invitaient et de prochains rivages. Ils reconnurent des passereaux qui habitent toujours les toits des hommes. Les herbes, plus épaisses et plus vertes sur la surface des vagues, imitaient des prairies et des champs avant la maturité des gerbes. La végétation cachée sous l’eau apparaissait avant la terre. Elle ravissait les yeux des marins lassés de l’éternel azur